Le magazine Socialter en partenariat avec les éditions FYP ont publié en novembre 2017 la version française de l’ouvrage de Trebor Scholz «Le coopérativisme de plateforme». Nous invitons celles et ceux qui veulent comprendre notre engagement comme plateforme coopérative à lire ce court ouvrage.
Trebor Scholz illustre données à l’appui comment malgré tous les discours enjôleurs sur le partage et la démocratisation, les plateformes de l’économie collaborative révèlent jour après jour leur modèle économique prédateur, essentiellement basé sur le précariat, le prolétariat numérique et l’exploitation de l’insécurité économique. Il propose de cloner les plateformes existantes en inventant des plateformes coopératives et énonce 10 principes pour un coopérativisme de plateforme.
Nous proposons de voir en quoi nos choix, qui s’éloignent du simple clonage de l’existant, répondent à ces 10 principes, notamment concernant les « produsers » de la plateforme, producteurs et usagers, pour reprendre la terminologie de Trebor Scholtz. Dans notre cas il s’agit de celles et ceux qui proposent l’accueil, l’hospitalité, des activités et des échanges culturels : hébergeurs, guides urbains, artistes, fablab, artisans, collectifs, etc …
1) Propriété : pour des plateformes coopératives détenues collectivement, propriétés des personnes qui y génèrent de la valeur et tournées vers l’intérêt général.
Nous avons fait le choix d’une société coopérative d’intérêt collectif qui réunie six catégories de membres ayant la double qualité d’usagers et sociétaires : les communautés de produsers qui sont réunis sur une même destination, les réseaux nationaux qui fédèrent les produsers (fédérations, etc), les prescripteurs qui commercialisent nos offres d’hospitalité (agences de voyage, CE, etc), les communautés des voyageurs (associations, etc), les soutiens (investisseurs, personnes ressources, etc) et les salariés.
2) Salaire décent et sécurité de l’emploi : «chacun a besoin pour vivre d’un salaire juste et d’avantages sociaux».
Avec les principes coopératifs, les droits humains sont notre cadre de référence, en particulier le droit à une rémunération équitable et une protection sociale. Nombreux produsers en activité, pour certain de longue date, sont engagés sur la défense de ces droits de par leur origine syndicaliste (tourisme social) ou pour un commerce équitable.
3) Transparence et portabilité des données : la transparence sur l’activité comme sur les données collectées.
Malgré la suppression depuis 2013 de l’obligation de rendre publics les comptes suite à la « révolte des pigeons » souhaitant protéger leurs start-ups de la concurrence, nous continuerons à rendre public nos comptes chaque année.
Nous avons fait le choix d’un contact direct entre les voyageurs et leurs hôtes (pas de brandjacking ou de captation de clientèle), d’une protection des données des usagers (pas de profilage) et de la possibilité pour les produsers d’avoir un accès direct aux données et statistiques les concernant.
4) Estime et reconnaissance : favoriser une bonne atmosphère de travail, de l’estime, de la reconnaissance et des recours possibles.
Nous n’avons pas voulu imposer de nouveau « label » ou « charte », chaque produser étant libre de gérer ses conditions de travail et de rémunération comme de management de ses équipes dans le respect de l’État de droit et la réalisation des droits humains.
De nombreux choix relèvent de la responsabilité de chaque communauté d’hospitalité comme le processus de cooptation des nouveaux produsers, la mise en récit de la destination et la répartition des coûts d’usage de la plateforme. Chaque communauté est encouragée à se doter de mécanismes de prise de décision démocratique (prime à la démocratie, condition pour devenir sociétaire).
5) Travail co-déterminé : impliquer les personnes avec lesquelles vous voulez peupler votre plateforme.
Nous sommes partis d’une envie collective de créer une alternative crédible aux GAFA en 2015 et depuis plus d’une centaine de personnes, produsers comme simples citoyens, a participé aux ateliers participatifs que nous avons mis en place en 2016 pour écrire notre cahier des charges, choisir notre identité et construire notre modèle économique.
Aujourd’hui, c’est à nouveau une centaine de produsers qui testent la plateforme durant sa dernière phase de développement afin de coller au mieux à leurs attentes. Enfin, ils seront tous invités via leurs réseaux ou leur communautés locales à devenir sociétaires de la coopérative et à participer, si ils le souhaitent, à sa gouvernance.
6) Cadre légal protecteur : une assistance légale est aussi nécessaire pour défendre les coopératives et favoriser des législations qui aillent dans le sens d’une égalité des chances entre plateformes.
Nous coopérons avec des institutions publiques locales comme internationales pour renforcer l’État de droit, la démocratie et les droits humains. Nous sommes à ce titre membre du réseau européen de la convention de Faro qui travaille sur questions de droits culturels et participons au processus expérimental d’intégration de ces droits aux politiques publiques de la région Nouvelle Aquitaine. Nous sommes aussi membre de l’union régionale des SCOP, de l’union nationale des acteurs du tourisme social Nouvelle Aquitaine (UNAT), de l’organisation internationale du tourisme social (OITS) et de la coop des communs.
Nos propositions et positions ont été reprises en novembre dans les ouvrages « les droits culturels » aux éditions Territoires et « L’année européenne du patrimoine culturel » de la revue Cartaditalia.
7) Protections et allocations transférables : pouvoir conserver les protections sociales et allocations lors d’un changement d’emploi et réduire le recours à des travailleurs occasionnels.
La question de l’égalité des droits entre travailleurs est celle qui nous a amené à nous rapprocher du mouvement des plateformes coopératives dont nous partageons l’analyse du risque de précarisation des travailleurs que fait peser l’essor de l’économie collaborative. Le choix de la cooptation et de cadres de références internationaux vont dans ce sens.
8) Protection contre l’arbitraire : les consommateurs prennent souvent des pouvoirs managériaux sur la vie des travailleurs via le système de réputation auquel s’ajoute l’absence de portabilité de ces réputations.
Nous avons le choix de la cooptation des produsers présents sur notre plateforme pour éviter les systèmes de notation, certification, classification et réputation. La relation est basée sur la confiance et l’envie d’échanger de part et d’autre, d’humain à humain.
9) Rejet d’une surveillance professionnelle excessive : éviter que les pratiques de surveillance ne laissent pas grande dignité aux travailleurs.
Nous avons fait le choix de remplacer les « commentaires » et « notations » des voyageurs par un « livre d’or » où ils pourront raconter en images, textes et vidéos leurs séjours chez leur hôte. Bien entendu, il leur sera possible de signaler les problèmes rencontrés si besoin mais ceux ci seront traités en direct par la communauté locale ou la coopérative dans le respect de la dignité de chacun et le refus de toutes formes de discrimination.
10) Droit à la déconnexion : Les travailleurs ont aussi besoin d’un droit à la déconnexion pour laisser du temps pour la détente, la formation tout au long de la vie et l’action bénévole et politique.
Chaque produsers choisira librement la place qu’il souhaite donner à internet dans la gestion de son activité notamment concernant la réservation et le paiement en ligne ou les modalités d’alertes en cas de prise de contact.
Cet exercice nous confirme que nous n’avons pas singer les plateformes existantes mais inventé une plateforme centrée sur les communs et le goût du voyage.
Le système proposé par les GAFA n’est pas anodin et traduit une certaine vision de la société : individualisme, fractionnement des identités, remplaçabilité, recommandation algorithmique, travail à la tache, etc. Il ne s’agit alors pas seulement de se rapproprier les GAFA mais bien de les réinventer dans leurs fonctionnalités, design, modèle économique, régulation et gouvernance pour qu’ils contribuent au respect de l’État de droit et à la réalisation des droits humains.
D’autres principes viennent alors compléter les 10 identifiés par Trebor Scholtz comme les principes de « libre entrée et sortie » facilitant des processus d’inclusion, de formation et de non discrimination, de « pouvoir démocratique » pour savoir quelles décisions relèvent de la communauté locale ou de la plateforme coopérative, de « coopération entre coopératives » pour mutualiser les coûts de développement et « d’engagement envers la communauté » pour contribuer à la production de l’intérêt général.
Nous avons en ce sens hâte de lire le prochain ouvrage de Trebor Scholtz et de voir comment les deux années de débats autours des plateformes coopératives ont fait évoluer son diagnostic et ses propositions.